Ma journée

Après le départ de la propriétaire, j’ai traversé l’entrée jusqu’à mon appartement et, tout d’un coup, j’ai clairement distingué ce que la situation avait d’épatant : la vieille était propriétaire de l’immeuble ; elle était veuve et elle n’avait ni parents ni amis. Ça allait être la pagaille pour s’y retrouver dans ses affaires. Il faudrait des mois pour tirer tout ça au clair, et, du coup, personne ne viendrait m’embêter parce que mon loyer était en retard.

Vous parlez d’un coup de pot !

C’était vraiment ma journée.

Je n’avais pas connu une journée pareille depuis le jour où je m’étais fait renverser par une voiture deux ans plus tôt et que je m’étais fait casser les deux jambes. J’avais eu droit à une belle indemnité. Même s’il avait fallu que je reste couché trois mois en extension, c’était mieux que de travailler pour vivre ; et puis alors, quelles merveilleuses journées j’avais passées à rêver de Babylone à l’hôpital.

J’étais presque désolé de sortir.

Même que ça a dû se voir.

Les infirmières en ont plaisanté.

« Pourquoi cette mine sombre ? » a dit l’une d’elles.

« On dirait que vous allez à un enterrement » a dit une autre.

Elle ne savait pas à quel point on était bien à l’hôpital, comme c’était bien de rester allongé dans un endroit où l’on s’occupait de tout pour moi avec pratiquement rien d’autre à faire que de rêver à Babylone.

A l’instant même où j’ai franchi la porte de cet hôpital sur mes béquilles, tout a commencé à aller de travers. A partir de ce moment-là, ça n’a été qu’une longue spirale descendante jusqu’à aujourd’hui ; mais alors, aujourd’hui : vous parlez d’une journée ! Des balles pour mon pistolet ! Cinq dollars ! Et le plus beau : une propriétaire cannée !

Que demander de mieux ?